Mot de la commissaire

Le portrait et l’autoportrait permettent d’exprimer et d’explorer les identités personnelles et collectives. En tant que genre, le portrait n’est pas demeuré une forme statique de représentation régie par des conventions strictes, mais, comme on peut s’y attendre, il a évolué au rythme des développements socioculturels des époques.

Le corpus entier de Max Dean, du début des années 1970 à aujourd’hui, est autobiographique. À cet égard, on peut le considérer comme une forme d’autoreprésentation, mais pas dans le sens conventionnel d’une image de soi saisie à un moment déterminé. Plutôt que de se représenter dans un corpus d’autoportraits individuels comme l’a fait Rembrandt Van Rijn, artiste hollandais du 17e siècle, dans son émouvante série de portraits de lui-même saisis de sa jeunesse à sa vieillesse, Dean a présenté des performances, réalisé des installations et des vidéos, et créé des tableaux photographiques.

À la base de chaque œuvre de Max Dean se trouve un marqueur – presque un encodage génétique – identifiant ce qui est un sujet de préoccupation dans la vie de l’artiste. Ainsi, son œuvre nous rappelle les défis et les risques auxquels est assujetti le corps humain : ses extensions, ses limites et sa mortalité.

Même si Dean est indéniablement l’acteur principal de ces œuvres où non seulement il se représente mais joue aussi son propre rôle d’artiste, ses préoccupations et ses actions ne sont pas entièrement solipsistes. Dès ses premières performances comme Max Dean: Un travail, 1977 (en haut), _____. (1978) et Sois moi (2002), l’affirmation de son identité est liée de manière complexe à la présence des autres. Cela s’exprime par l’inclusion des membres de sa famille comme sujets et celle des personnes regardant son art en tant que participantes et participants. 

Images ci-dessous

Max Dean – A Work, 1977
______ 1978
Sois moi, 2002

Par le simple acte de participation à son œuvre, le public s’identifie par sa présence physique et par des traits ou des comportements psychologiques allant de l’engagement enthousiaste au retrait. Ce faisant, les « sois » de l’artiste et ceux du public se frôlent et parfois se combinent. Sois moi (2002) est un exemple où l’artiste se sert de la technologie non seulement pour engager le public, mais aussi pour l’incorporer en adoptant ses gestes et ses paroles dans une image projetée de sa propre tête.

De plus, Dean inclut aussi dans son œuvre la personnalité et les œuvres d’une grande variété d’artistes qui ont fait l’objet de son admiration tout au long de sa carrière. La puissance de tableaux iconiques individuels comme Portrait of Giovanni? Arnolfini and his Wife, [Les époux Arnolfini] de 1434 de Jan van Eyck et Sisyphus du Titien de 1548-1549, l’ont inspiré autant que l’œuvre de Marcel Duchamp lui a donné une liberté, un élan ludique et une appréciation du rôle de l’objet quotidien dans sa pratique.

Dans son œuvre d’art totale intitulée Encore – Vivre avec le cancer et la Covid (2020) (voir https://youtu.be/nZzWS41xSjY), une œuvre épique qui comprend un élément tridimensionnel et une série de mises en scène photographiques, Dean puise dans deux des plus célèbres peintures de Thomas Eakins: Clinique Gross (1775) et La clinique Agnew (1889). Dans plusieurs des tableaux faisant partie de l’exposition, on voit Dean dans le rôle d’une figure centrale qui renvoie aux œuvres d’Eakins. Dans la composition élaborée de Clinique Gross, étude de cas(2016), sa présence est mise en lumière. Debout et regardant vers la droite de l’image, il est accompagné d’assistants, qui sont tous concentrés sur la réparation d’un orignal animatronique endommagé. 

En créant Dissection d’Eakins(2020) et Encore – Clinique Agnew(2020), Dean a donné les rôles de l’artiste et des sujets principaux non seulement à son équipe de figures humaines animatroniques, mais aussi à des « acteurs » individuels, y compris lui-même.

Dans Encore – Clinique Agnew Jodie Jenkinson (Professeure à l’Université de Toronto et directrice de la maîtrise en science en communication biomédicale), professeure au département de biologie à l’Université de Toronto, joue le rôle du docteur Agnew. Dean, la tête reposant sur sa main droite, est assis dans la deuxième rangée parmi les étudiants en médecine animatronique.

Si l’identité individuelle et l’unicité du soi peuvent être expliquées aujourd’hui avec une grande exactitude par une série abstraite de lettres et de traits, comme dans une séquence d’ADN, c’est la facilité informelle d’un « selfie », ou égoportrait, qui domine comme mode d’enregistrement de soi-même. Toutefois, même si la technologie a fait avancer les formes scientifiques et expressives de l’enregistrement identitaire, elle s’est avérée également capable de renverser la capacité de vérité de l’image enregistrée. La technologie de l’hypertrucage et la médiation des identités par une variété de plateformes de communication électronique disponibles sur l’internet ébranlent notre confiance collective en des identités vérifiables. L’exploration du soi opérée par Dean donne lieu à un dialogue urgent sur la nature de nos identités et la manière dont nos expériences nous façonnent, et la façon dont nous communiquons toutes ces identités individuelles et collectives entre nous.